mardi 20 septembre 2011

Gaspard n'aime pas l'école



Tu n’aimes pas lire, Gaspard : les livres sont pour toi des objets hostiles et rébarbatifs. Tu en prends un parfois, lourd, tu en feuillettes les pages monotones, ennuyeuses et sans vie. Tu te demandes : qui peuvent-être ces gens qui écrivent ? Des personnages sérieux comme des adultes, sévères comme des professeurs…
Petit, on te faisait la lecture. Tu te souviens de ces images colorées, de ces mondes différents qui s’offraient un instant. Il y avait dans ces livres des petites filles qui te ressemblaient un peu, des petits garçons qui pouvaient devenir tes amis, des animaux fascinants, des mondes attirants…
Mais aujourd’hui, personne ne te fait plus la lecture et tes albums sont dans un carton, vendus peut-être à la prochaine brocante avec leurs secrets.
Jamais. Tu n’avoueras jamais que tu ne sais pas lire : les caractères sont des signes noirs qui s’alignent interminablement et dansent devant tes yeux comme s’ils se moquaient de toi. Alors tu les ignores, tu les détestes et les rejettes comme s’ils t’avaient d’abord rejetée. Parfois ton regard s’attarde un instant sur une photo de magazine, sur un dessin de couverture, tu reconnais une lettre, puis une autre, hésites sur la troisième et t’éloignes enfin.
Tes amis savent lire, tes camarades savent écrire. Madame Colin écrit au tableau et les mains se lèvent. Mais toi tu ne lèves pas la main, l’expression hautaine de celle que cela n’intéresse pas, et tu cherches la reconnaissance des autres autrement, aux gendarmes et aux voleurs, ou parlant du film de dimanche à la télé, ou en disant n’importe quoi. Tu te rebelles par principe, en oubliant pourquoi.
Quand Madame Colin te regarde, les sourcils froncés, tu fais celui qui n’aime pas l’école, pas les maîtres, pas les livres.
Et tu souffres.
Mentir t’épuise. Les messages écrits des magasins, de la télévision, les courriers de la famille, sont autant de mystères. Avec des questions innocentes, tu interroges sans en avoir l’air. Tu deviens habile à résoudre les rébus.

Un jour madame Colin te retient après la classe. L’affaire doit être sérieuse. Bienveillante, elle te demande si tu vas bien. Si tes parents vont bien. Tu viendras à la kermesse. Tu demandes : quel jour, madame et où ? Madame Colin te montre une affiche : tout est marqué là… Tu scrutes le message obscur. Les signes noirs dansent devant tes yeux, les lignes ondulent. En te concentrant, tu lis les lettres l’une après l’autre. S. A. M… Madame Colin hoche la tête. D’accord, dit-elle.
Madame Colin s’assoit. Elle cherche ses mots. Gaspard, j’aimerais que tu prennes quelques cours avec moi, tu veux bien ? Tu nies l’évidence. Pourquoi Madame ? Pour que nous faisions un peu de lecture tous les deux. Choisis un livre.
Tu regardes la bibliothèque, les volumes s’alignent comme une armée hostile de mauvais génies. Tu en choisis un au petit bonheur, la couverture remplie d’animaux hilares qui semblent se moquer de toi.
Madame Colin pose son doigt sur les deux premières lettres. I majuscule, l minuscule. Elles sont identiques, mais ne veulent pas dire la même chose. Il… é.t.a.i.t. était u.n.e. une f.o.i.s.
Il était une fois, des signes qui font des mots, des mots qui font des phrases. Les personnages s’animent parlent et te parlent.
Les phrases font des histoires et les histoires ton enfance…

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